David Ortsman

David Ortsman
Hey, Cruel World

Exposition du 18 mars au 12 avril 2014
Vernissage mardi 18 mars 2014 de 18h à 21h

Reprenant le titre de la chanson de Marilyn Manson (album « Born Villain », 2012), David Ortsman nous interpelle, à l’occasion de son exposition personnelle à la Galerie du Haut Pavé, sur la cruauté du monde.

Dans ses dessins à l’encre de Chine, aux encres aquarelles et au Rotring, l’artiste se met en scène dans des situations surréalistes où il est à la fois témoin, victime de la barbarie des personnages (pantins, squelettes, animaux, peluches), victime du paysage (fleurs, arbres, maisons), mais également acteur de cette violence engendrée. En effet, il mord, mange, croque, torture, découpe les autres, et parfois lui-même : son double est cannibale et autophage. La menace et la tension sont donc présentes dans ses saynètes étranges et colorées.

La violence est là, mais elle paraît cependant douce, voire indolore et festive dans certaines œuvres. Les personnages de David Ortsman ont l’air paisible dans ces cauchemars ou plutôt ces rêves ; ils dorment, pleurent en silence, sourient même. Sont-ils habitués à cette brutalité, cette méchanceté qu’ils trouvent normales ? L’artiste nous interroge  alors sur les rapports des hommes entre eux et envers la nature qui les entoure. Devenons-nous petit à petit de mauvais sauvages ?

Géraldine Dufournet

 

MAYA BENKELAYA

MAYA BENKELAYA
GRIP

Exposition du 4 février au 15 mars 2014
Vernissage mardi 4 février 2014 de 18h à 21h

maya benkelaya 2(72 dpi)

Sans titre, 2013, Feutre sur papier, 60 x 45 cm

Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l’autre.

Roland Barthes[1]

Née en Algérie en 1980, Maya Benkelaya a été formée à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Ses œuvres – dessins et sculptures – mettent en scène le corps humain, mais en ne le faisant jamais figurer explicitement, procédant plutôt par allusions ou par métaphores. Elle use ainsi de subterfuges transposant l’anatomie dans des formes improbables, absurdes ou inconfortables, mais tou­jours identifiables. Peut-être peut-on y voir une façon de contourner l’interdit de la figuration des êtres vivants dans la tradition islamique[2]. Ce refus de la représentation directe n’exclut pas une forme de voluptueuse sensualité, faisant écho au propos de Marguerite Yourcenar : « Qu’est la volupté elle-même, sinon un moment d’attention passionnée au corps ? »[3]

Plus encore qu’au corps, c’est à sa frontière avec le monde extérieur, à la peau, que l’artiste porte son attention la plus passionnée. Le latex est un de ses matériaux de prédilection. Il peut se répandre au sol, comme une flaque délimitée par une fragile bordure, pendre au mur en lanières sages ou déchiquetées, constituer des torsades en forme de tresses. Il est souvent accompagné de boutons pression pour souligner le fait qu’il s’agit bien d’un matériau qui a pour vocation de se refermer, de mouler pour mieux envelopper[4]. Mais cet enfermement suggéré n’a rien d’un emprisonnement. On dirait que Maya Benkelaya veut prendre le contre-pied de Schopenhauer quand il déclare : « Chacun est enfermé dans sa conscience comme dans sa peau. »[5] Au contraire, ses œuvres délivrent l’imagination et la conscience qui, libérées de toute représentation trop explicite, peuvent s’égarer dans des chemins non balisés qui n’ont rien de contraint ou de prédéfini. On pense à l’expression « Esclave de corps, d’esprit libre. »[6] de Sophocle. Et c’est bien de cela qu’il est question. La peau, telle une mue, est restée sur place. Son habitant s’est échappé, a pris une liberté que le spectateur est libre d’imaginer comme il l’entend.

Que dire de ces dépouilles qui nous interpellent comme seuls témoins de probables mauvais traitements : écorchements renvoyant à Marsyas ou à saint Barthélemy, tortures individuelles comme dans La colonie pénitentiaire de Kafka, lacérations sadiennes, raffinements cruels et voluptueux dignes du Jardin des supplices de Mirbeau… ? Elles renvoient à une réflexion sur la précarité de l’écorce humaine. Ce point est corroboré par le fréquent recours de l’artiste à des équipements médicaux, orthopédiques ou sportifs rendus presque anodins par leur transformation en thèmes de contemplations esthétiques. Ils sont multipliés, assemblés, déformés, étirés pour créer des objets ou des installations qui forcent le regardeur à repenser le rapport de son propre corps avec le monde environnant. Les sentiments se bousculent, s’entrechoquent et se contredisent : contrainte, obstacle, abandon, résignation, libération, souffrance… Mais, comme le soulignait Shakespeare : « Plus le corps est faible, plus la pensée agit fortement. »[7]

Une des caractéristiques essentielles de la peau est sa semi-perméabilité. Maya Benkelaya la met en évidence dans ses dessins qui se présentent, le plus souvent, comme des assemblages frontaux de surfaces opaques partiellement ajourées, à des tissages, à des cuirs corroyés ou à des damasquinures. On pense inévitablement au travail artisanal de l’art populaire kabyle, à ses poteries peintes – les ikoufans –, à ses peintures murales, à ses bijoux et à ses tatouages, subsistance d’une lointaine écriture primitive remplie de symboles sexuels. Ces dessins arrêtent le regard tout en ménageant des sorties, vers le fond de la feuille, sorties sans issue. Ils se laissent pénétrer par l’œil, mais le captivent, le capturent et l’empêchent d’en ressortir, incitant à une certaine forme de voyeurisme. Ils se comportent ainsi comme des moucharabiehs[8], surfaces semi-perméables et asymétriques par excellence – voir sans être vu –, variantes des vitres sans tain, alimentant bien des fantasmes voyeuristes repris, notamment, par Duchamp dans son Étant donnés : 1° la chute d’eau 2° le gaz d’éclairage…

 Louis Doucet, janvier 2014

* Texte de présentation de l’exposition de Maya Benkelaya à la Galerie du Haut-Pavé, du 4 février au 15 mars 2014 .

[1] In Fragments d’un discours amoureux.

[2] De façon assez curieuse pour une tradition aussi forte, ni le Coran ni les hadîths ne sont précis sur ce point. L’interdit se rattache à la tradition judaïque de proscription des idoles, telle qu’exprimée dans l’Ancien Testament : « Tu ne feras point d’image taillée ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. », Exode XX.4.

[3] In Mémoires d’Hadrien.

[4] Le latex a ses fétichistes. Les combinaisons moulantes en latex empêchent la respiration de la peau et provoquent un sentiment d’apesanteur, de protection quasi fœtale.

[5] In Aphorismes sur la sagesse dans la vie.

[6] Fragments, l. 677.

[7] In Hamlet.

[8] Noter l’étymologie de ce mot qui vient de l’arabe مشربة (mišraba) désignant une cruche, encore une enveloppe quelque peu poreuse protégeant un contenu désirable.

Sans titre, 2013, Feutre sur papier, 35 x 50 cm

BENOIT GEHANNE

BENOIT GEHANNE
NICHES

exposition du 7 janvier au 1er février 2014

vernissage mardi 7 janvier de 18h à 21 h

Biais 1# 2# 3# 4#, 2013, bois, peinture acrylique, photographie

Le travail de Benoît Géhanne consiste à mettre en place des conditions venant contrarier toute immédiateté de lecture. Il produit des images – peintures, dessins, photographies –, puis enraye les mécanismes qui favoriseraient leur réception. Ceci non en manipulant l’image elle-même, mais en travaillant son contexte de présentation : ce sont donc les conventions de format, de modalités d’exposition, de projection, d’accrochage, qui constituent la matière de ses recherches.

 Ainsi, lorsqu’il encadre ou contrecolle ses images sur métal : la marie-louise est décentrée, réduite à un unique biseau ou basculée pour n’être plus parallèle au cadre, ou encore la plaque d’aluminium déborde largement. Benoît Géhanne joue du parergon, cet espace matériel et symbolique qui borne l’œuvre ; il travaille ce point de rupture au-delà duquel l’image et son cadre/support ne constitueraient plus un objet spécifique, autonome.

 Comme lorsque, délaissant le cadre, ses peintures et dessins se déploient directement sur le plan du mur. Ces propositions empruntent aux motifs décoratifs – papiers peints, carrelages -, manière de ramener dans le white cube un autre contexte, et de jeter le trouble sur son apparente spécificité.

Avec ces pièces, Benoît Géhanne exagère les contraintes de réception. Il déplace le point de vue : force à regarder non plus en face mais vers le haut ou le bas, en biais au fond d’un angle aigu – le geste indexant la façon dont les artifices d’exposition orientent le regard, permettant alors d’éprouver son caractère construit.

 Marion Delage de Luget

Pierre DANIEL

Carte blanche à Gilgian Gelzer

du mardi 3 au vendredi 20 décembre 2013

vernissage le 3 décembre de 18h à 21h

Pierre DANIEL

Kermesse, 2013, Magazine ponce, 21×30 cm.
Courtesy Galerie Alain Gutharc

Maude MARIS

De mèche,  2013, mine de plomb sur papier de soie, 29,7 x 21 cm.Courtesy Galerie Isabelle Gounod

Christophe ROBE

dessin, 2013, crayon de couleur sur papier, 17,8×26 cm

Claire SOULARD

sans titre, 2013, ballon, acrylique, feutre, crayon, pastel, stylo sur toile, 155×132,5 cm. Courtesy Granville gallery, Paris


Les mains de la ligne

Des innombrables rencontres faites tout au long de mes années d’enseignement chacune contribue à sa manière à la permanente réinvention d’un projet tel que je le poursuis actuellement à l’Ensba. Les rencontres que j’ai pu faire avec Pierre Daniel, Maude Maris, Christophe Robe et Claire Soulard au cours de mon activité à l’Ecole des beaux-arts de Caen font partie des plus marquantes pour moi. La carte blanche qui m’est proposée par la galerie du Haut Pavé me donne l’occasion de les retrouver dans cette réunion inédite de générations, de sensibilités et de perceptions du monde différentes.

Le dessin étant devenu pour moi, au fil des années, l’instrument essentiel de la transmission, de l’échange et du partage ainsi que l’outil privilégié de la construction du regard, c’est naturellement par ce biais que je souhaitais susciter une conversation entre les travaux de ces quatre artistes. Chacun d’eux s’empare en effet de manière très personnelle et fort éloquente de la question du dessin pour ce qu’elle peut convier comme dimensions et tempos particuliers au sein de leur recherche. Qu’elle soit tracée, taillée, poncée, brouillée ou acérée, violente ou tendre, légère ou grave, la ligne traverse d’une manière ou d’une autre la pratique de chacun; elle y modèle ou découpe des espaces et des images aussi saisissants qu’énigmatiques.

Si les travaux sont de natures fort diverses, leur juxtaposition témoigne d’affinités certaines de par leur manière d’entretenir un dialogue exigeant avec la matière et de savoir donner libre cours aux multiples énergies graphiques. On trouve là une même force d’engagement à travers des œuvres s‘affirmant par leur évidence et leur vérité.

Gilgian Gelzer

Sivan L. Rubinstein

Sivan L. Rubinstein

exposition du 5 au 30 novembre 2013

Qui voudrait assigner à Sivan L. Rubinstein une place bien sage dans le classement de l’art contemporain ne chercherait pas longtemps : « Post –Pop », dirait- t-il, avant de tourner les talons, satisfait de son verdict (chaque chose à sa place).

 Il aurait des arguments : les tableaux de Sivan L. Rubinstein sont figuratifs, sans ambiguïté, empruntant leurs motifs à la culture populaire (notamment musicale) ou à l’environnement quotidien que forment autour de nous les objets manufacturés (depuis quelque temps, elle s’intéresse à ces déchets toxiques que sont les piles électriques usagées. Celles-là mêmes que l’on emploie dans les appareils qui servent à écouter la musique précitée).

Mais le classement n’est pas tout. Si l’univers de l’artiste est bien celui de Warhol ou de Rosenquist, sa manière n’emprunte pas aux techniques qui neutralisent les images, et les mettent à distance avec froideur.  Tous les objets que peint Sivan L.Rubinstein sont avant tout prétexte à un exercice sensuel de la peinture, à un traitement des matières et des surfaces, que l’on hésite à dire virtuose, tant la virtuosité a perdu de son  prestige dans l’espace des arts plastiques. Mais c’est pourtant de quelque chose comme cela qu’il s’agit, non pas d’une peinture à effets, bavarde et démonstrative, mais d’une peinture cultivée, maîtresse d’elle-même et de ses sources, respectueuse de la part artisanale qui est au cœur de l’art de peindre.

Sivan L. Rubinstein pourrait être décrite comme un Chardin, ou – puisqu’il existe une grande artiste de la nature morte à l’âge classique, profitons-en ! – une Louise Moillon qui s’appliquerait à rendre palpables,  non plus la rosée sur les fruits fraichement cueillis, mais la rouille sur les objets de notre monde. Un monde qui se ruine  très vite ( mais l’accélération du vieillissement des choses n’a pas aboli l’esthétique des ruines : et qui verrait la beauté d’une pile usagée, sans un tableau qui nous donne à la comprendre ?)

Didier Semin (novembre 2011)

Danelectro (9volt), 2012, acrylique sur toile, 100×81 cm

Discothèque Rap, 2009, stylo sur papier, 31,5×25 cm