Christèle Veaux

retraits
Tracés au carbone

du 18 avril au 13 mai 2000


Christèle Veaux

née à Châlon-sur-Saône en 1965
99 rue Bobillot 75013 PARIS
Atelier : 84 rue de Charenton 75012
Prépare actuellement une thèse en Arts et Sciences de l‘Art, UFR Arts et Sciences de l‘Art, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, sous la direction de Monsieur le Professeur Jean Lancri.

Formation
1993Diplôme d‘Études Approfondies
UFR Arts et Sciences de l‘Art, Paris I Panthéon-Sorbonne
1989Diplôme National Supérieur d‘Expression Plastique
École Nationale des Beaux Arts de Dijon
Expositions personnelles
2000retraits, Galerie du Haut-Pavé, Paris
Expositions collectives
2000Galerie du Haut-Pavé, Paris
1999Exposition Salon Claude Ferron, Paris
19981ère Biennale d‘art contemporain, Nîmes
Salon d‘Octobre, Brive-la-Gaillarde
Salon Jeune Peinture 98, Paris
Livre d'artiste
mot(if)s, collection "Mémoires" dirigée par Éric Coisel, Paris 2000.
Allocation
Allocataire de recherche de 1993 à 1996, Centre d‘Études et de Recherches en Arts Plastiques (CÉRAP), UFR Arts et Sciences de l‘Art, Paris I Panthéon-Sorbonne


Série Anonyme, Figure 3, 27/11/98, 198 x 48 cm
Figure 4, 6/12/98, 190 x 48 cm
Tracés au carbone de ruban de machine à écrire sur Arches


Neuf traits plus un retrait pour Christèle Veaux
1) Rien n‘est plus cher à Christèle Veaux que le deux. Chacun de ses gestes créateurs ne trouve grâce, semble-t-il, à ses yeux que s‘il lui permet de faire coup double. D‘un geste unique de transfert, à partir du carbone d‘un ruban de machine à écrire, elle retire toujours deux tracés, l‘un positif, l‘autre négatif. Qu‘elle tire donc un trait, elle le redouble aussitôt, le retire d‘un retrait : ainsi va son destin, ainsi vont ses dessins. Inscrire ne lui suffit guère ; il lui faut une pratique de la double inscription : ainsi vont ses desseins, ainsi progresse son chemin. Quand il ne lui arrive pas, d‘ailleurs, de doubler la mise, lors de doubles transferts où le jeu avec le deux (ici deux subjectiles), empêche la "bonne" saisie des opérations qui déterminent ce que l‘on voit. Rien n‘est plus cher, en vérité, à Christèle V. que ce deux où s‘inscrit son je.
2) Rien n‘est plus cher à Christèle V. que l‘obstination. Si chacun de ses gestes vaut double, il ne vaut pour elle que s‘il est un geste d‘obstination : jusqu‘à l‘excès, jusqu‘à l‘épuisement. Et c‘est ainsi que Christèle, jour après jour, aligne ses lignes : des lignes de nuit — ses lignes de vie — où elle s‘acharne à mettre au jour la nuit. Avec l‘opiniâtreté du boeuf de l‘antique boustrophédon, elle parcourt des champs de papier blanc qu‘elle noircit peu à peu, pas à pas. Allant de gauche à droite puis de droite à gauche : jusqu‘à l‘épuisement ; le sien et celui de sa matrice, de ce ruban de carbone auquel, grain à grain, gramme après gramme, elle arrache le graphite de son trait, le graphisme de ses retraits.
3) Rien n‘est plus cher à Christèle V. que le trait. Pas n‘importe lequel. Seul compte celui qui autorise, pour elle, le pas de côté, autrement dit, le retrait. Celui qui montre le fil qui se gagne tout autant que celui qui se perd. Seul compte le trait tenu, obtenu contre le trait : celui qui lutte contre le trait, tout en demeurant au plus près de lui. Celui qui garde, en blanc, l‘incise ténue de son noir filigrane et qui produit peu à peu, tel l‘usufruit des multiples pas effectués sur le côté, une plage (voire une page) noire : ici, cela donne une ligne de 87 mètres (il suffirait au spectateur d‘en dévider l‘écheveau pour la mesurer), soit 87 mètres empilés côte à côte, sur quelques centimètres carrés, tirés (non : retirés) presque sur place ; là, c‘est un chapelet de lignes patiemment épelées ; ailleurs encore, toute une horde.
4) Rien n‘est plus cher à Christèle V., au fond, que la ligne. Pas n‘importe laquelle. Seule compte pour elle la ligne de fond : celle qui, dans la pêche à la ligne qui continûment l‘occupe, s‘avère susceptible de ramener, en bout de ligne, un peu d‘eau, en l‘occurrence, un reste de sa nuit d‘origine, un zeste de l‘origine - le carbone - où la nuit qu‘elle met au jour prend sa source et où chacun de ses traits (non : de ses retraits) trouve sa ressource. Seule vaut pour elle cette ligne qu‘elle rebaptise volontiers a linea, histoire de tenir compte de son obstiné pas de côté.
5) Rien n‘est plus cher à Christèle V. que la nuit. Pas n‘importe laquelle. Seule vaut pour elle la nuit qui sue, qui suinte, par transport, depuis le carbone de son ruban. Seule étincelle à ses yeux celle exsudée par la matrice du carbone qu‘elle épuise. Telle est la nuit où Christèle s‘en va puiser. Unie à la nuit, telle se voudrait Christèle. La nuit nue, la nuit sue, la nuit tue ; mais aussi la nuit qui remue, la nuit où Christèle mue. La nuit tutoyée, tel est l‘objet des attentions de Christèle V., la nuit giboyeuse, tel est le sujet de ses stèles.
6) Rien n‘est alors plus cher à Christèle V. que son amas d‘écarts, son ramas de traces, sa cohorte de lignes emmêlées. Mais pas n‘importe lesquelles. Comptent davantage à ses yeux celles qui prennent corps, qui s‘étoffent largement en surfaces. Qui s‘érigent en stèles anthropomorphes, et qui se montent le cou jusqu‘au mystère de la face : une face encore aveugle, au visage promis mais encore uni à la nuit.
7) Rien n‘est alors plus cher à Christèle V. que le chemin. Pas n‘importe lequel. Seul compte à ses yeux celui qui sourd de la nuit, sort du carbone, éclôt sous sa main. Mais ce chemin, pour qui écoute bien, bien vite se dédouble. Chemin ? Che-main ? Jeu de mots, jeu de main : rien n‘arrête ici la double lecture. Rien n‘arrête, de même, face aux dessins de Christèle V., l‘hésitation de la perception visuelle. Rien ne permet de figer la mobilité des traits de Christèle (tel est son trait malin, celui qu‘en dernier recours, en fin de parcours, toujours elle décoche). Rien ne permet même de les nommer en toute pertinence. Traits ? Retraits ? Tel est le fil retors de leur ressort : un fil où perdre le fil, où la pensée qui croit se prendre, grâce à lui, en filature, soudain se défile. Rien ne permet jamais de fixer le statut de ces lignes. Traits ? retraits ? Rien ne permet d‘en arrêter la notion, au plan de la théorie. Rien, dans chacun de ces dessins, qui permette d‘en arrêter vraiment le dessein, d‘en saisir le chemin.
8) Cependant, si rien n‘est plus cher à Christèle V. que l‘expérience du chemin qui égare, rien n‘est alors plus cher à son coeur que l‘expérience du labyrinthe. Pas de n‘importe quel labyrinthe. Seul compte pour elle sans doute celui de Borgès, lequel écrit : "Il n‘est pire labyrinthe que la ligne droite." Est-ce pour échapper à l‘enfer de la ligne que Christèle choisit le pas de côté ? Est-ce pour fuir l‘enfermement dans la ligne droite qu‘elle entrecroise la marche frontale et la démarche diagonale ?
9) Telle s‘avère Christèle dans ses oeuvres. Obstinée. Subjuguée par la nuit. Assignée au deux. Fascinée par le retrait. Envoûtée par l‘épreuve du labyrinthe. Et toujours en ligne, toujours en chemin. A cheval sur une ligne qui n‘en finira jamais d‘aller à la ligne. Avec, pour viatique, un incroyable tortillon de lignes. Toutefois, si chaque ligne, chaque trait, chaque retrait, chez elle, vise à se latéraliser, à se pariétaliser, et cherche à produire un écart en s‘éloignant si peu que ce soit de la ligne droite, le fil d‘Ariane qui permettrait de sortir du labyrinthe n‘est-il pas alors également celui qui engendre ce dernier ? Les Retraits de Christèle V. proposent-ils autre chose que la mise en éclats d‘une telle question ? Ils en sont la mise dans l‘éclat le plus noir.
9 + 1) "Rien n‘est plus cher à l‘éclosion que le retrait." Rien, sans doute, n‘est plus cher à l‘esprit de Christèle Veaux que ce fragment d‘Héraclite.

Jean Lancri

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