Delphine Pouillé

 

 

Obturations

exposition du 8 janvier au 2 février 2013

 


 

 

Les thrums flottent dans un espace entre-deux, leurs silhouettes polymorphes manifestent une irrésistible attirance vers la terre. Chacune des entités, à  la fois douces et inquiétantes, réclame un corps-à -corps ; le regardeur est invité à  interagir avec les excroissances textiles et mousseuses. Une relation physique et sensorielle qui trouve sa source à  l'intérieur du corps de l'artiste, envisagé comme la colonne vertébrale de sa production. Les thrums sont de véritables dessins gonflés, ils surgissent de la matière et colonisent l'espace. Ils sont les prolongements d'un dessin primitif reporté une première fois sur une large feuille de papier, puis sur le tissu. L'enveloppe est découpée, cousue finement pour donner forme à  une membrane dans laquelle l'artiste injecte une mousse expansive. Le dessin prend littéralement corps, la matière se dissémine et épouse sa peau. Les organismes synthétiques sont enfin épinglés et suspendus dans l'espace investi. Ils apparaissent comme de multiples extensions du corps de l'artiste. Ce dernier engendre de nouvelles entités, difformes, anonymes, sourdes et aveugles. Mi-mortes, mi-vivantes, leurs anatomies bosselées sont faussement inertes.

 

Les apparences sont effectivement trompeuses. Les thrums entament une existence mouvante. Emballés, transportés, déballés, exposés, remballés, ils subissent divers accidents et imprévus. Soumis aux modulations lumineuses et climatiques, ils suent, se brisent, explosent, secrètent, dégoulinent. Une tension s'engage entre la peau et la matière qui transpire, transperce, boursouffle pour se libérer du carcan devenu trop étroit. Biologiquement morts, les corps mousseux sont physiquement actifs, voire réactifs. Des organes fragiles, légers, imprévisibles que l'artiste s'emploie méticuleusement à  soigner. Telle une chirurgienne-plasticienne, elle constate les blessures, prépare son matériel, opère, colmate les corps abîmés. Différents gestes s'imposent : raser les sutures, détrousser, dépecer le thrum pour en libérer la chair, panser les plaies, piquer des épingles afin de fixer les greffons textiles, boucher les blessures trop profondes, redonner forme aux glandes et aux tiges aplanies. L'instabilité du matériau génère une interdépendance vitale, ainsi qu'une mutation permanente des pièces. Les thrums se métamorphosent, ils connaissent différentes évolutions dues non seulement aux propriétés mobiles des matériaux, mais aussi au processus d'entretien mené par l'artiste. Ils fluctuent, quittent leurs peaux, sont augmentés de pansements, sont reformés au fil d'existences éphémères puisque la mousse se délite, les thrums à l'image des humains se résument à des corps de passage.

 

La technique utilisée pour la confection des patrons de papier a donnénaissance à  une série de dessins rapiécés (Oil and Patch Drawings). Le dessin est la base et l'extension des sculptures. Delphine Pouillé dessine et taille dans le papier comme elle taillerait dans le bois ou la pierre. La feuille de papier est morcelée dans le bas, sur les côtés, puis rapiécé de manière à  architecturer la forme. Elle instaure ainsi une économie du matériau, une récupération de l'espace. Entre mosaïque et quilting, le papier n'est plus seulement envisagé comme un support, il fait véritablement corps avec les organismes de pastel gras. Le matériau s'auto-colonise. De nouvelles gestuelles sont entreprises : tracés agressifs, découpages, collages, frottements au coton-tige et pansements au pastel blanc. La problématique médicale est à nouveau convoquée par l'artiste.

 

Les thrums et les dessins semblent extraits de son propre corps, ils le prolongent sous forme de prothèses qui réclament des soins rémanents. Le concept prothésique a d'ailleurs alimenté l'ensemble de la pratique de Delphine Pouillé qui, depuis le début des années 2000, fusionne corps et objets protéiques. A l'image de l'oeuvre vidéo produite lors d'une résidence à  Taipei, Umbilical Parade (2012), où nous sommes invités à  suivre le parcours d'une colonie de marcheurs reliés entre eux par d'étranges organes textiles tubulaires. Les longues trompes sont connectées aux bouches des marcheurs au moyen de masques en coton. Ils sont visuellement connectés. Les corps sont dissimulés sous des capes imperméables colorées, ils avancent de manière synchronisée et silencieuse dans le tumulte urbain. Tels des clones fantomatiques, les marcheurs adoptent une apparence unitaire et monstrueuse. L'artiste met en oeuvre des organismes étouffants auxquels viennent se greffer les concepts de colonisation, de multiplication et de mutation. Elle fouille avec attention les interstices qui existent entre la vie et la mort. Delphine Pouillé examine, travaille et répare les caractères incontrôlables de corps aux géométries instables et protéiformes.

Julie Crenn

 

 


 

Delphine Pouillé

Née en 1979 à  Clermont-Ferrand

Vit et travaille à  Paris

www.delphinepouille.com

delphinepouille@gmail.com

 

 

Formation

2002

Diplôme National d'Arts Plastiques, Ecole régionale des Beaux-arts de Rennes

2003

Diplôme d'Etudes Approfondies en arts plastiques, Université Rennes II

 

Expositions I Résidences

2012

6ème Biennale d'art contemporain de Bourges, Panorama de la jeune création

AIR Taipei, résidence, Taiwan

2011

Eclats, galerie La Ferronnerie, Paris

Demain ne meurt jamais, Nuit Blanche, Mayenne

Le Hublot, Ivry-sur-seine

Fluffy Flavours, NextLevel galerie, Paris

2010

Les infiltrés, La Graineterie, Houilles

Bringing privacy out, off-loop, festival d'art vidéo, Homesession, Barcelone

Singulier...multiples, galerie La Ferronnerie, Paris

2009

Nuit des Musées, Casino-Luxembourg et MUDAM, Luxembourg

Hauts en couleur, galerie La Ferronnerie, Paris

2008

B-Gallery, Bruxelles

Homesession, résidence, Barcelone

2007

Paysage humain, Galerie des Urbanistes, Fougères

 

 

 

Publications 

2012

Catalogue d'exposition de la Biennale de Bourges

2010

A scene of french contemporary media art, Yung-Lin Wang, Artist Magazine n° 421 (Taiwan)

2009

We love artists : Artist in residencies around the world, Someone's garden (Japon), 2009

 

 

 

thrums dans une serre

thrums dans une serre - jardins de l'Hôtel de Ville de Mayenne, Nuit Blanche, Mayenne, 2011, tissu, mousse polyuréthane, tuyaux PVC, dimensions variables, Production Nuit Blanche Mayenne

 

 

thrums dans une serre - jardins de l'Hôtel de Ville de Mayenne, Nuit Blanche, Mayenne, 2011, tissu, mousse polyuréthane, tuyaux PVC, dimensions variables, Production Nuit Blanche Mayenne

 

 

thrum #12 (état n°2), 2010-2012, tissu et mousse polyuréthane, 220x60x60 cm et Oil And Patched Drawings, pastel gras, crayon, feutre et huile de lin, 37x29 cm (x5), 46x31 cm (x2), 51x37 cm (x5); 6ème Biennale de Bourges, Panorama de la Jeune création, 2012

 

 

thrums, 2010 - 2012, tissu, mousse polyuréthane et tuyaux PVC, dimensions variables, 6ème Biennale de Bourges, Panorama de la Jeune création, 2012, [thrum NBM #1 : Production Nuit Blanche Mayenne]

 

 

thrums nains, 2010, mousse polyuréthane, 55x20x20 cm, Le Hublot d'Ivry-sur-Seine, 2011

 

 


Umbilical Parade (Taipei), 2012, vidéo/performance, 5'56

 


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