Christine Maigne

Trous coulants

du 19 novembre au 7 décembre 1996


Christine Maigne


née en 1965 à Saint-Flour
atelier : 53 rue Sacco et Vanzetti
94800 VILLEJUIF
01.49.58.20.61

Formation
1986-90École Normale Supérieure de Cachan
1988-90Maîtrise et DEA d‘Arts Plastiques, Paris I Sorbonne
1989Agrégation d‘Arts Plastiques
1991-Professeur à l‘École Nationale Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d‘Art (Olivier de Serres)
Expositions personnelles
1994Galerie Zenit, Copenhague
Artis, St-Jean-de-la-Ruelle
Chemin d‘Art 94, St-Flour
Galerie Sud, Bagneux
1996Radio France Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand
Galerie du Haut-Pavé, Paris
Expositions collectives
1986Avis de Recherche, Musée des Arts Décoratifs, Paris
1990Salon de la Jeune Peinture de la Ville d‘Angers, Angers
1991Jeune Peinture - Jeune Sculpture, Courbevoie
Art/loft - Rapports photo/peinture, Artothèque, Le Perreux
Zig Zag, Ateliers portes ouvertes, Gentilly
Novembre à Vitry, Vitry-sur-Seine
1992Galerie Art 50, Paris
Jeune Peinture 20x20, exposition itinérante, Europe et Afrique
Jeune Peinture, Grand Palais, Paris
Regards, Gentilly
Salon de Bagneux
1993Centre culturel de Freiberg, Allemagne
Contemporaines, Grand Palais, Paris
Salon de Bagneux
Salon de Montrouge
Jeune Peinture, Grand Palais, Paris
Novembre à Vitry, Vitry-sur-Seine
1994Salon de Clichy
Jeune Peinture, Quai Branly, Paris
199510 ans, Galerie Sud, Bagneux
Bibliographie
1993Christine Maigne, l‘art de la métamorphose
Claude Frontisi, in catalogue Jeune Peinture
1994Colorless green ideas, catalogue de l‘exposition personnelle, Galerie Zenit
Christine Maigne : extrapolations rurales, in La Montagne, 26 août 1994
Christine Maigne, vidéo réalisée par Patricia Loth produite par la Galerie Sud
Pur et dru, catalogue de l‘exposition personnelle, Galerie Sud

Christine Maigne est née à Saint-Flour, en Auvergne, dans le Cantal, le plus haut siège épiscopal de France, comme le proclament, non sans fierté, les guides touristiques en décrivant l‘austère cathédrale gothique qui domine la ville fortifiée. Elle y a passé toute son enfance et son adolescence.
C‘est un pays où les hivers sont souvent très froids et toujours enneigés. Mais aux épaisses neiges du coeur de l‘hiver, Christine Maigne préfère celles des abords du printemps, quand l‘épiderme en devient cassant, que la végétation commence à jaillir et à darder à travers lui, que des lacunes en forme de trous noirs s‘y forment petit à petit, débouchant, sans le révéler, sur un sol aussi proche qu‘invisible.
Christine Maigne photographie ces surfaces instables et vivantes, presque abstraites, usant de cadrages serrés, par lesquels des brins d‘herbe ou de modestes branches prennent des dimensions monumentales. Des trous de quelques centimètres deviennent des cratères insondables. Juxtaposés, en couples, ils peuvent prendre l‘aspect de regards scrutateurs ou inquiets, parfois affectés d‘un strabisme déroutant.
Marouflés sur d‘épais panneaux, toujours carrés - pour exorciser la crainte du haut et du bas, de la droite et de la gauche -, ces clichés deviennent le matériau de base du travail de Christine Maigne. Dans une démarche à la fois pathétique et primitive, presque désespérée, pour restituer sa matérialité à ce trou devenu bidimensionnel par la photographie, elle creuse alors le panneau et reconstitue la béance originelle, ou une autre qui lui ressemble comme deux trous dans la neige peuvent se ressembler, attaquant le bois, puis le noircissant pour y laisser tout le mystère du sol inaccessible.
Deux ans plus tard, après d‘autres expériences, Christine Maigne reviendra à ces trous et décidera d‘en révéler les limites, de montrer l‘envers du décor. Passant sous la couche de neige, traversant le plan du tableau comme Alice passait de l‘autre côté du miroir, elle mettra en scène, dans la série des Épanchements, 1996, ce qui se passe derrière la surface sensible du monde réel. Des grandes poches noires - des collants féminins - pendent désespérément, vides et flasques, ou pleins et fermes, imposantes stalactites de basalte ou dérisoires épluchures de la réalité, du monde qui se situe de l‘autre côté de ce plan pictural, limite tangible entre deux univers apparemment irréconciliables... Et pourtant... Rien à voir avec la démarche de Duchamp dans son Objet dard ou dans sa Feuille de vigne femelle, qui sont des moulages en négatif. Les Épanchements sont des positifs, mais des positifs d‘un monde dual, de l‘autre côté du miroir marquant la limite de l‘univers tangible...
Entre temps, Christine Maigne s‘est intéressée au développement végétal, tel qu‘il est plus particulièrement exacerbé aux abords du printemps, lorsque les neiges fondantes dégagent les branches mortes ou se font transpercer par des brins d‘herbes qui, habituellement inoffensifs, prennent alors de bien martiales allures. Des Hirsutes qui résultent de ce travail, deux générations se succéderont, en 1994 et 1995-96. Le caisson, portant la photographie du sol enneigé et de ses traces végétales, se hérisse de poils qui jaillissent dans tous les sens, drus ou isolés, en écho aux éléments figurés par la photographie, ou en opposition avec eux, courts et rigides dans la première génération, longs et en arabesque dans la seconde.
Il faudrait aussi parler des Éruptions, qui les ont précédés, en 1993, étape de transition entre les Trous et la pilosité des Hirsutes. Là, les caissons se couvrent de végétaux mêlés à des fils de fer et à divers matériaux au caractère agressif. L‘éruption est aussi sensible à l‘extérieur de chacun des tableaux, dans l‘accrochage de plusieurs de ces caissons, de dimensions les plus diverses, dans des configurations qui évoquent, elles aussi, l‘idée d‘un éclatement ou d‘une catastrophe qui vient de se produire...
Et puis, il y a aussi cette touchante série des Coeurs tremblants, 1995, où des petites boîtes, montées sur des ressorts à boudin, alignées en forme de vague, oscillent au gré des mouvements des visiteurs ou du vent.
Pour expliquer son évolution, Christine Maigne montre des toiles plus anciennes. Des grandes photographies de vaches - non pas de la race de Salers, mais des hollandaises, noires et blanches -, sont découpées et collées sur la toile, en une sorte de vaste tourbillon, accentué par des grands tracés gestuels, eux aussi noirs et blancs. Dans une de ces compositions, l‘oeil du bovin, au milieu du tourbillon, fait figure de vortex du cyclone mais anticipe, de quelques années, les trous dans la neige.
Dans ses carnets d‘esquisses, soigneusement tenus, Christine Maigne consigne des projets encore en devenir. On y découvre, au fil des pages, des épanchements siamois, des stalactites molles, des formes qui hésitent entre le végétal et l‘animal, mais aussi des observations très précises de spores de champignons ou de protozoaires...
Tout est noir et blanc dans les oeuvres de Christine Maigne - pas la moindre tache de couleur - et pourtant, rien de triste, de malsain ou de morbide dans ces compositions. Bien au contraire, on les perçoit comme un hymne à la vie, un témoignage de la persistance du processus vital, porteur d‘un érotisme latent. On y discerne un attachement profond et sincère à une certaine ruralité de la France profonde, un goût marqué pour les petites choses, une poésie de l‘éphémère et de la fragilité, une nostalgie de l‘enfance et de l‘école buissonnière (avec de vrais buissons), une expression directe, pétillante et souriante... À l‘image des grands éclats de rire de l‘artiste quand elle explique son travail, sa démarche, sa passion et communique son enthousiasme.

Louis Doucet, juin 1996

index