Patrice Fort et Franck Mouteault

confident/développement

du 7 janvier au 8 février 2003


Franck Mouteault


Patrice Fort


Le Dictionnaire par excellence, celui de l‘Académie française, dans sa plus récente édition, donne pour un des sens du mot confident, la définition suivante : siège capitonné de la seconde moitié du XIXe siècle, offrant deux places côte à côte mais disposées en sens contraire, destiné à favoriser une conversation intime. De son côté, le non moins imposant et vénérable Trésor de la Langue Française, tout en se référant à Labiche, affiche une définition sensiblement différente : siège formé de deux ou trois fauteuils à dossier bas disposé en forme d‘S, propre à une conversation discrète.
Entre deux et trois, Franck Mouteault a fait le choix, optant pour le deux, pour une saine parité. Pour ce qui est des capitons, il faudra revenir, n‘en déplaise aux nostalgiques d‘un XIXe siècle qui fut plus opprimant que les délirantes fadaises adultérines et bourgeoises de Monsieur Labiche voudraient nous le faire accroire, car les surfaces de son confident sont planes, plates, d‘un minimalisme que ne renierait pas un Spartiate qui aurait fait ses classes chez Gropius, à Weimar ou à Dessau.
Pour la discrétion et l‘intimité, il faudra aussi repasser... Franck Mouteault exhibe en effet tout de son confident, son plan, ses détails visibles et invisibles, son dessus et ses dessous, son mode de construction et d‘assemblage, et même ses restes. Cette variante de l‘art d‘accommoder les restes est peut-être le seul point qui le rattache au XIXe siècle, mais dans sa dimension culinaire et petite-bourgeoise...
Et pour évacuer définitivement cette dimension passéiste, je ne peux pas m‘empêcher de penser à ces répliques du livret de Meilhac et Halévy pour La Belle Hélène d‘Offenbach, tirées de l‘épisode des calembours :
MÉNÉLAS
Quelle différence y a-t-il entre des cornichons et Calchas ?
[...]
PÂRIS
Je m‘adresse à Calchas et lui dis :
La différence n‘est pas maigre
Entre les cornichons et toi !
Ils sont confis dans du vinaigre...
Calchas est le confident du roi.
Trêve de divagations...
Le travail de Mouteault est le fruit d‘une profonde réflexion sur le vide et l‘absence, sur la présence et la trace, sur le manque et la plénitude, sur le volume et la planéité.
Mais, au-delà de ce recours trop classique et désormais éculé à des oppositions dialectiques de ce type, ses travaux questionnent la notion de processus, de transformation, de développement, obligeant le spectateur à consentir un effort qui, partant de l‘absence des restes, le mène vers la matérialité de l‘objet fini.
Mais est-il vraiment fini ? Je ne le pense pas. Devant ce confident, confronté à ses restes, on ne peut s‘empêcher de vouloir replacer, mentalement, chacun de ses plans dans les espaces vides des restes, à la manière du héros de La Vie mode d‘emploi, romans — noter le pluriel — de Perec, obsessionnellement attaché à ses puzzles, et d‘imaginer le processus qui a présidé à son développement spatial en le rejouant, à l‘envers...
On peut aussi, comme je suis poussé à le faire, imaginer comment ce volume découpe l‘espace, générant du plein dans une matrice vide. Négatif, en quelque sorte des restes affichés au mur. En poursuivant le processus de développement, je conçois alors un volume compact s‘inscrivant dans un espace quadridimensionnel, dont le confident constituerait les restes...
Chez Patrice Fort, la notion de développement est au coeur d‘un processus qui nous mène du volume à la surface, puis de cette surface à un autre volume. Un voyage aller et retour qui rend compte de toute la polysémie du mot développements, au pluriel.
Il y est donc question de déploiement, d‘étendre et du résultat de cette action, de l‘exposition d‘une idée, d‘un thème, d‘un sujet, de croissance et de progression, de prise d‘importance mais aussi des conséquences que tout ceci peut avoir...
L‘utilisation de sceaux est presque aussi ancienne que l‘humanité. C‘est une pratique d‘appropriation du plan, de prise de possession de l‘espace, de marquage ou de démarquage, d‘affirmation d‘une identité, d‘authentification, mais aussi de répétition d‘un même motif.
Patrice Fort utilise des sceaux en terre ou en pâte à modeler pour développer des surfaces qui deviennent faces de nouveaux volumes. Ce processus, essentiellement affirmatif, s‘accompagne d‘une sorte de pétrification, donnant naissance à des figures qui affectent souvent la forme d‘un grand S, où l‘on pourra reconnaître, selon l‘humeur du spectateur, un hippocampe saisi dans l‘argile, la trace du passage d‘un ver arénicole ou les plans d‘un improbable dispositif pour sortir des limites étroites de l‘espace bidimensionnel.
Il y a plusieurs façons de passer du plan au volume. Le ruban de Möbius en est une. Patrice Fort use d‘autres méthodes, qui s‘appuient sur le concept de croissance, de développement, au sens biologique de ce terme, donnant naissance à ces formes qui affectent la simplicité, mais dont on devine la complexité intérieure. Tout comme dans le coquillage laissé sur le sable par la marée, le processus d‘élaboration des formes de Patrice Fort ne relève d‘aucun hasard. On y voit plutôt l‘expression d‘une nécessité, aussi forte et prégnante que la sexualité chez les animaux ou la recherche de l‘idéal chez les humains.
Bien des raisons, donc, de confronter le travail de Patrice Fort et de Franck Mouteault, bien des convergences et des différences dans la façon d‘appréhender l‘espace, le passage du plan au volume, et vice versa...
Il y a, cependant, un point commun de plus qui rapproche, à mes yeux, ces deux artistes, quelque chose qui pourrait relever du détail, pour certains, mais qui revêt, pour moi, une importance fondamentale. C‘est la façon de traiter l‘attache.
Qu‘est-ce qui fait la différence entre un fragment de mur mal crépi et un chef-d‘oeuvre de Robert Ryman ? C‘est l‘attache, visible et banale, mais complètement intégrée à l‘oeuvre, au point même que sa disparition détruirait ipso facto l‘oeuvre ou la ramènerait au rang de la production d‘un quelconque potache émule d‘un minimalisme mal compris...
Chez Fort comme chez Mouteault, l‘attache joue un rôle d‘importance. Qu‘on se souvienne de la façon dont étaient fixées au mur les découpes en polypropylène des Master-Soustractions de Mouteault, que l‘on observe les traces des vis assemblant les pièces de son confident ou, plus prosaïquement encore, les simples épingles qui maintiennent au mur de son atelier les dessins qui l‘inspirent...
Chez Fort, l‘agrafage des tôles par le biais de petits tenons métalliques qui s‘ancrent et se recourbent dans des fentes ménagées aux rebords des arêtes de ses volumes, joue le même rôle. Supprimez-le pour le remplacer par une soudure invisible ou discrète et la pièce perd son statut pour sombrer dans une piètre banalité.
Chez l‘un comme chez l‘autre, la vulgaire attache permet à l‘oeuvre d‘échapper à la banalité. Les mystiques parleraient de sanctification par la quotidienneté. Je préfère y voir le point d‘ancrage de ce fil d‘Ariane qui assure la communication entre deux univers, celui de la réalité tangible et celui de la pure création.

Louis Doucet, décembre 2002

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