Jean-Philippe Brunaud

Promesses suspendues

28 avril au 23 mai 2009


Jean-Philippe Brunaud

Née en 1972 à Versailles
84 rue de Ménilmontant
75020 PARIS
06 03 04 08 55
jphbrunaid@free.fr
jphbrunaud.free.fr

Expositions personnelles
2009Galerie du Haut-Pavé, Paris
Galerie Ulrike Petschelt, Kassel, Allemagne
2008Galerie Châtelet-Victoria, Paris
2005Art en Cambrésis, Busigny, Nord
2004Académie 25, Paris
Espace Les 7 Parnassiens, Paris
2003Galerie L'Oeil du huit, Paris
Galerie Châtelet-Victoria, Paris
20023 Pièces/Cuisine, Paris
Espace INOVE, Avignon
2001Espace INOVE, Avignon
Galerie Châtelet-Victoria - Paris 1er
1999Galerie L’atelier, Casablanca, Maroc
Expositions collectives
2008« Triptyque » (Salon d'art contemporain d'Angers avec la galerie Catherine et André Hug)
Salon de Montrouge
Galerie Nivet-Carzon, « Les malheurs de Sophie », Paris
MacParis, Espace Champerret, Paris
2006Création des décors de la pièce de théâtre de Francis Beaucourt : « Qu'il repose en révolte ou le procès imaginaire de Marie H. »
Galerie L’Oeil du huit, Paris
2005Mac 2005, Espace Champerret, Paris
Art en Cambrésis, Cambrai
2004Grand prix de peinture de Saint-Grégoire, Île-et-Vilaine
Fondation Boris Vian, Paris
Rencontres internationales d’art contemporain de Chizé, Deux-Sèvres
2003Galerie Maragall, Barcelone, Espagne
2002Galerie la Compagnie des Arts, Paris
3ème prix : « Concours ROUGE », Galerie L’Œil du huit, Paris
« EXPOCOLOR », Galerie Châtelet-Victoria ; Paris
2000Festival Franco-Anglais de poésie - S.C.A.M (Société Civile des Auteurs Multimédia), Paris
1999Exposition collective franco-belge de la Jeune Chambre Économique de Paris
Centre Culturel De Bottelarij, Bruxelles
Festival Franco-Anglais de poésie, Maison de la Poésie, Paris
1996Galerie Donguy, Paris

Bitunjac
Baigneuse

Bitunjac
Ossétie - Été 2008

Bitunjac
Elle tombe

Bitunjac
Le bout de la terre

Bitunjac
Un petit tour et-puis s’en vont

Si l’on en croit le début du livre de la Genèse, Dieu créa la végétation le troisième jour, les animaux marins et les oiseaux le cinquième, les animaux terrestres et l’homme le sixième. Les descendants de Darwin, les tenants de la phylogénétique et de l’approche cladistique, font des plantes, des animaux et des humains les membres d’un seul et même domaine, celui des eucaryotes, partageant avec les archéobactéries, leurs cousines, le même ancêtre commun dénommé non pas Adam ni même Ève, mais LUCA1. Jean-Philippe Brunaud chamboule ces schémas. Il comprime la longue histoire de l’évolution pour condenser l’espace et le temps en un hic et nunc qui se conçoit, se manifeste et se fige sur la surface quadrangulaire d’une toile peinte, cette surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées, si l’on en croit Maurice Denis.
C’est que Jean-Philippe Brunaud met en scène des mutations – c’est ainsi qu’il a désigné l’essentiel de sa production des années 2005-2006 – qui transgressent les lois habituelles de la génétique et de la biologie, pour hybrider humains et végétaux en des êtres nouveaux, en perpétuelle évolution, mais figés dans l’instantané de la « prise de vue » plastique, quelque part entre le règne animal et le végétal. Ces mutations se déploient au sein d’une peinture, mais aussi d’une œuvre à l’autre dans la même série. Ce qui est donné à voir, c’est une lente appropriation d’un hôte humain par le végétal, par des excroissances, parfois agressives, qui surgissent d’un corps, s’y intègrent et s’en emparent lentement, pour le remodeler et le modifier. Dans cette bataille inédite, c’est toujours le végétal qui l’emporte, le corps, victime possédée, pouvant être, selon les œuvres, consentant ou résistant. Peu importe, on voit bien que la lutte est par trop inégale, que l’humain se fondra dans le végétal, en une régression inéluctable, allant à rebours des conceptions darwiniennes, mais bien à l’image de notre lot d’enveloppe périssable. Avant de redevenir poussière, notre corps ne nourrira-t-il pas micro-organismes et champignons, nos cousins de la famille Eucaryote. Réflexion sur notre devenir ?
Que l’on ne se trompe pas, cependant. Il n’y a rien de morbide ni de triste dans la peinture de Jean-Philippe Brunaud. Bien au contraire. Les couleurs sont vives et chaudes, la facture propre, les figures saines et belles. Un observateur superficiel pourrait même y trouver une atmosphère bucolique, baignée d’une lumière tiède, éprouver une certaine fascination pour cet univers autre, échappant apparemment aux contingences de notre monde. Mais, à bien y regarder, les personnages, souvent des nus féminins, sont comme vidés de toute substance humaine. Ils ont perdu leur âme et ne valent plus que pour leur écorce superficielle, leur peau nacrée et voluptueusement offerte aux caresses du regard d’un spectateur devenu voyeur. Ce ne sont plus des corps, mais des écorces – belles, certes – mais vidées de leur substance par des végétaux vampires. Ici, l’artiste finit par donner raison à Valery : ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, c’est la peau.
On pourrait aussi hasarder une comparaison avec Arcimboldo, notamment dans l’exubérance expressive, tout à fait maniériste, de l’enchevêtrement des formes et des couleurs. Mais la comparaison s’arrête ici. Chez le Milanais, l’exercice relève de la prouesse technique, d’un illusionnisme humoreux qui préfigure les travaux d’un Dalí. Chez Jean-Philippe Brunaud, végétaux et humains sont plus intimement imbriqués. Ce peut être dans une relation fusionnelle dans laquelle les deux règnes deviennent presque indiscernables, comme dans certains de ses dessins où les formes végétales grouillent en une sorte de bouillon de culture, esquissant la silhouette d’une tête, d’un corps ou d’un membre humain. Ce peut être aussi, dans une relation plus classique, de sujet et de fond, comme dans cette toile où une jeune femme nue, une nymphette, penchée en avant vers son improbable reflet spéculaire dans une flaque d’eau en forme de tache jetée sur la toile, se détache devant une masse végétale qui évoque sans ambiguïté le mystère de la forêt primitive dont elle vient de se libérer. On pense alors aux beaux vers nostalgiques de Ronsard :
Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras !
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivraient dessous la dure écorce ?
Ce peut être enfin dans une relation métamorphique, comme dans les toiles Madame Poireau (2007) ou Factice (2007), dans lesquelles un beau nu féminin cohabite avec des plantes légumineuses. Dans cette dernière œuvre, la chevelure féminine se mue en racines d’un réseau rhizomatique qui se développe sur toute la partie gauche de la toile. Dans l’une et l’autre peinture, les végétaux se muent eux-mêmes en rubans aux arabesques maniéristes qui évoquent des molécules d’ADN que nul ne s’est encore hasardé à séquencer. Dans Femme (2007), la métamorphose est en train de s’accomplir sous nos yeux. Nouvelle Daphné rattrapée dans sa course par Apollon, la jeune femme nous fixe dans un abandon désespéré, la peau déjà couverte d’ocelles rouges et vertes, tandis que sa chevelure s’est muée en racines d’un laurier rose en devenir. Ovide en fait une des belles pages de ses Métamorphoses :
Vix prece finita torpor gravis occupat artus,
mollia cinguntur tenui praecordia libro,
in frondem crines, in ramos bracchia crescunt,
pes modo tam velox pigris radicibus haeret,
ora cacumen habet : remanet nitor unus in illa.
Richard Strauss un sublime opéra :
Ich komme - ich komme -
Grünende Brüder... ,
Süss durchströmt mich
Der Erde Saft!
Dir entgegen -
In Blättern und Zweigen –
Keuschestes Licht!
et Jean-Philippe Brunaud une toile fascinante.
Dans la série des Errances (2007-2008), il s’agit bien de métamorphoses. L’artiste le revendique clairement quand, s’exprimant sur sa démarche, il écrit : Mon travail explore un monde de lentes métamorphoses. Des mutations aux significations mouvantes où les paysages, les espaces, se jouent de l’idée du réel, où la figure et l’abstraction se mêlent, où le corps révèle son contenu dans l’univers qui l’enveloppe. Là où les Mutations (2005-2006) remplissaient et opacifiaient l’espace, les toiles les plus récentes le vident, le rendent transparent pour n’en conserver que l’enveloppe, l’écorce. Ici, il n’est question que d’épiderme, de surface, de paraître. Apparemment fragiles et chaudes, ces écorces humaines ou végétales ont perdu de leur être. Certaines apparaissent, çà et là, sur les toiles, sous forme de chrysalides ou de mues, parfois déformées par anamorphose, à la façon du crâne étrange qui figure au premier plan des Ambassadeurs de Holbein le Jeune. Jean-Philippe Brunaud s’inscrit ici, du moins métaphoriquement, dans la descendance des figurations du supplice de Marsyas ou du martyre de saint Barthélemy, tel que Michel-Ange l’a peint au plafond de la chapelle Sixtine. D’autres écorces sont entrées dans un processus de réification, dans une sorte de pétrification molle qui fait parfois écho à certaines des œuvres de Mantegna. Les images de Jean-Philippe Brunaud incitent l’œil à caresser la surface des choses, à se substituer au propos narratif devenu absent, pour ne révéler, dans une démarche ontologique, que la peinture dans son essence : une seconde peau posée sur la première peau de la toile. Sincérité, sensualité, étrangeté, invitation au voyage sont toutes conviées au constat de la défaite de l’humanité résignée face au végétal conquérant non violent. L’invitation à pénétrer l’intimité de ce qui est donné à voir se heurte, in fine, à ce constat d’échec. À ce point, la narration s’arrête et la peinture ne tient plus que pour ce qu’elle est : la définition de Maurice Denis...
Il est un aspect moins connu de la production de Jean-Philippe Brunaud, celui de ses installations. Je pense notamment aux plus récentes qui font appel à du foin et à du film alimentaire en matière plastique. Dans ces œuvres, l’artiste montre la trace, en négatif, qu’un corps a laissée dans du foin. Même si la chanson4 de Mireille et Jean Nohain vient immédiatement à l’esprit, nous sommes ici dans un tout autre registre, celui du memento mori5. La forme corporelle est traduite en manque, mais un manque qui s’inscrit lui-même dans une structure périssable : le manque dans ce qui manquera bientôt, la vacuité dans le vide en devenir. Il est donc encore question, ici, des limites corporelles, de la peau, de l’écorce, même si celle-ci est plus suggérée que matérialisée. On peut dresser un parallèle avec le processus de mémorisation des souvenirs, de leur idéalisation et de leur effacement. L’artiste joue aussi, dans ces installations, sur une relation d’attraction - répulsion, de fascination et de rejet simultanés. On est, ici, proche de ces images fantômes relevées sur les murs d’Hiroshima et de Nagasaki après l’explosion des bombes atomiques. Horreur et attendrissement. Horror vacui6, aussi… Et puis, le foin nous rappelle ces travaux pratiques de sciences naturelles, à l’école, où pour étudier la paramécie, on devait faire infuser du foin dans de l’eau. Ce protozoaire cilié, indissociablement lié à l’herbe, cet être unicellulaire primitif nous fait remonter de quelques échelons, par la pensée, du moins, dans l’arbre phylogénétique, vers cet ancêtre unique en qui se réconcilient ou se résolvent toutes les contradictions existentielles que Jean-Philippe Brunaud exprime dans son art.

Louis Doucet, avril 2009

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